Magie et sorcellerie au siècle des Lumières .

Ille-et-Vilaine
Saint-Malo

Interview L'histoire de Céleste, mère maquerelle et sorcière à Saint-Malo, marquée au fer rouge

Justine Jouet a enquêté sur les sorcières en Bretagne. En s'intéressant à Naia, elle a retrouvé l'histoire de Céleste, condamnée pour maquerellage et sorcellerie à Saint-Malo, sous Louis XVI.


Par Samuel Sauneuf
Publié le 25 Février 2024.

C’est dans une envoûtante histoire de la Bretagne que nous plonge l’historienne de la sorcellerie Justine Jouet, avec son livre Le mystère Naïa, une sorcière à Rochefort-en-Terre (Morbihan).



En se plongeant dans les archives, Justine Jouet a retrouvé l’histoire de Céleste, condamnée pour maquerellage et sorcellerie à Saint-Malo au XVIIIe siècle. Interview :

-  Comment devient-on « historienne de la sorcellerie » ?

-  Un peu par hasard. Dans le cadre de mes études, je me suis intéressée à la Bretagne du XIXe siècle, à ses croyances, ses superstitions, les rebouteux… Tout ça m’a emmenée à Naia.

Cette femme, considérée comme une sorcière, a vécu dans les ruines du château des Rieux à Rochefort-en-Terre à la fin du XIXème siècle et au début du XXème siècle. L’écrivain Charles Géniaux l’a rencontrée et photographiée.

Légende en Bretagne : la plus célèbre des sorcières vivait dans les douves d’un château
On dit de Naia qu’elle avait le don d’ubiquité, qu’elle lisait l’avenir, et qu’elle ne ressentait pas la douleur. Mon livre-enquête m’a demandé trois ans de recherche et d’écriture, basées sur les archives (pièces judiciaires, état-civil, recensement…). Mon approche est scientifique et factuelle.

La sorcière Naïa.



« On faisait plus confiance aux rebouteux qu’aux médecins »

C’était quoi une sorcière à cette époque ?

On est loin de l’image de la femme avec son balai, ses verrues sur le visage et son chat noir… Il y avait deux types de sorcières au XIXe siècle. Celles qui remettaient les articulations, qu’on appelle les rebouteux. Et celles à qui on prêtait des dons et des capacités paranormales, à l’image des écouteuses de trépassés qui communiquaient avec les morts.


Il faut rappeler le contexte : la Bretagne était sous-médicalisée au XIXe siècle. On fait davantage confiance aux rebouteux et aux sorciers qu’aux médecins, des hommes venant des villes, qui ne parlaient ni breton, ni gallo, et qui coûtaient cher. Ces deux mondes s’entrechoquaient.

Une femme qui dérange
-  Vos recherches vous ont entraînée jusqu’à Saint-Malo et une certaine Céleste Gaultier…

-  Nous sommes en 1779. Céleste est ce qu’on appelle « une femme libérée ».
Elle tenait un « bordel public et de maquerellage » rue des Petits Degrés, Intra-Muros.




Elle va être poursuivie pour cette activité, mais aussi pour sorcellerie.
A Saint-Malo, la prostitution se cache dans les appartements
Ce qui pose surtout problème, c’est qu’elle est libertine et maquerelle. Elle gêne ses voisins qui l’ont dénoncée. Plusieurs vont témoigner et s’en plaindre. Et puis l’un des témoins affirmera qu’elle est également « devineresse », qu’elle utilise des sortilèges. Elle aurait notamment prédit à la bonne date, la naissance d’un enfant. On dit aussi qu’elle tirait les cartes. Elle va être condamnée pour ça.

Marquée au fer rouge
À quoi va-t-elle être condamnée ?

Elle va être questionnée, ce qui veut dire torturée à cette époque, avant d’être conduite place du Pilori où elle est marquée au fer rouge d’une fleur de Lys dorée sur chaque épaule. (  Tiens ! cela nous rappelle quelqu'un d'autre ...    )  Céleste a ensuite parcouru les rues de Saint-Malo avec le mot « maquerelle » autour du cou et a été bannie à perpétuité de Saint-Malo.

Justine Jouet


Justine Jouet, « historienne de la sorcellerie ». (DR)

-  La sorcellerie existe-t-elle toujours ?

-  J’ai rencontré certaines personnes à la fin de mes conférences qui m’ont affirmé être sorciers. On m’a aussi fait part d’expériences assez étonnantes et visiblement inexpliquées. Beaucoup de gens y croient encore en tout cas.



«Le plaisir que nous prenons aux histoires de féeries et de revenants, a dit un grand sceptique, vient d'un reste de doute si elles sont fausses et d'un secret désir qu'elles soient vraies.»

LeJournal des débats
21 décembre 1814

PRÉFACE

En parcourant cet ouvrage, le lecteur qui aurait identifié la Révolution au culte de la froide Raison chère aux sans-culottes et l'Empire aux articles d'une précision toute juridique du Code civil risque d'être fort étonné. Il s'imaginait que1789 signifiait le triomphe d'une bourgeoisie empreinte de rationalisme sur une aristocratie
décadente et plongée dans l'irrationnel d'un Mesmer ou d'un Cagliostro. En un mot il croyait qu'aux ténèbres avaient succédé les Lumières. Il n'en était rien.
L'étude de Mlle Éloïse Mozzani, résumé d'un gros travail présenté en Sorbonne pour l'obtention d'une maîtrise d'histoire, nous montre que magie et superstitions n'ont en rien rendu les armes entre 1789 et 1830.
Paris même, la ville sceptique et frondeuse, siège de toutes les conquêtes de l'esprit et de toutes les révolutions politiques, nous apparaît à la fin duXVIIIe siècle comme dans la première moitié du XIXe aussi naïve face aux sorciers et charlatans de tout poil que les campagnes les plus reculées et les plus attardées d'alors.
Mlle Mozzani cite des exemples ahurissants tirés des archives de la police. On connaissait Catherine Théot, « la mère de Dieu », et la demoiselle Lenormand, dite «la sibylle du faubourg Saint-Germain», mais non le citoyen Irénée ou la dame Lebrun. S'y ajoute le vampire Rafin. Mais on peut se demander si Lamothe-Langon dans ses Après dîners de Cambacérès n'a pas inventé ce «Dracula »impérial.



La mode est en effet au roman noir anglais, dit gothique. Les Mystères d'Udolpho d'Ann Radcliffe sont de 1794 et Le moine de M.G.Lewis de 1795. Point culminant de cette vogue: Melmoth ou l'homme errant de Maturin en 1820. Par les périodes de pleine lune vont désormais surgir de la nuit spectres, vampires, loups-garous et démons variés.


Satan, plus puissant que jamais, mène le bal en un temps où le Premier consul installe le Conseil d'État et où ses soldats font la conquête de l'Europe. Faut-il s'étonner de cette nouvelle flambée de superstitions, de la vogue des devineresses, de la légende du « petit homme rouge » ?
Notre sujet :
https://marie-antoinette.forumactif.org/t2980-les-fantomes-des-tuileries-de-thierry-ardisson

Les années 1789-1815 furent parmi les plus troublées. Qui aurait pu prédire en1789 (mettons à part Cazotte) le destin tragique de Marie-Antoinette ou la fulgurante ascension de Napoléon? Murat devient roi de Naples, Désirée Clary souveraine de Suède, Lefebvre duc de Dantzig, sans oublier le duc d'Orléans proclamé roi des Français en 1830: de quoi tourner bien des têtes !
Les fameux récits du comte de Saint-Germain qui enchantèrent les contemporains de Louis XV  ou les « divagations » de Jacques Cazotte perdent leur caractère extravagant. On voit mieux, ou presque.
Bien sûr, ne prenons pas au sérieux tout ce que racontent les contemporains. Et adoptons le sourire narquois de Louis XVIII récitant son cher Horace: Somnia terrores magicos, miracula,. sagae nocturnos lemures, portentaque….. (songes, terreurs magiques, miracles, magiciennes, spectres nocturnes et présages...). Il n'en demeure pas moins que, grâce à Mlle Mozzani, le vampire aura désormais sa place, à côté du préfet, du grognard et du général baron d'Empire, dans la légende impériale.

Jean TULARD
Professeur à la Sorbonne

Ce sujet est complètement d'actualité quand on pense à l'affaire qui secoue Agde en ce moment. Pour revenir au 18e, en matière de sorcellerie Cagliostro était un bon !